- Comme en ce qui concerne les décès, le nombre de blessés du Chemin des Dames lors de l’offensive Nivelle est difficile à évaluer, encore plus compte tenu de la difficulté à placer des bornes chronologiques à l’événement. Le service de Santé indique environ 80.000 blessés pour deux semaines de combat mais on a parlé de 120.000 évacués (article censuré d’Eugène Lautier). Il faut dire que la bataille des chiffres est aussi une bataille politique, qui permet d’affaiblir Nivelle.
Un conflit de pouvoir
- Le sous-secrétariat d’Etat au service de Santé est créé le 2 juillet 1915, avec « la volonté d’étendre le contrôle du pouvoir civil sur les autorités militaires » qui donnent la priorité totale aux médecins militaires et laissant les tâches subalternes aux civils, négligeant parfois le soin des blessés.
- Dès le début, le sous-secrétariat d’Etat est confié à un avocat, Justin Godart (l’ancien responsable de la santé au ministère de la Guerre, le général Troussaint, se sentant désavoué, démissionne). Celui-ci s’y montre efficace, et il est obéi par les médecins militaires.
Le service de santé au Chemin des Dames
- Dès les premiers jours de l’offensive Nivelle, les critiques pleuvent contre le service de santé, jugé inefficace et responsable de l’aggravation du bilan humain. Une Commission d’enquête sénatoriale est créée et se rend sur le terrain fin avril puis mi-mai, et son rapport est accablant, que ce soit en ce qui concerne les HOE (Hôpitaux d'orientation et d'évacuation) ou le service des évacuations : « la commission blâme l’autorité responsable du fonctionnement du service de Santé au cours de la dernière offensive. »
- « En avril 1917, la chaîne sanitaire semble avoir fonctionné correctement jusqu’aux HOE. » En revanche ceux-ci connaissent une crise majeure, submergés par une vague de blessés, y compris de blessés légers arrivés par leurs propres moyens sans en avoir été empêchés …
- « La question cruciale est alors de savoir si les moyens étaient suffisants. […] Insuffisantes en raison de l’imprévision du commandement, les capacités sanitaires prévues n’étaient en outre pas prêtes le 16 avril. » Aucun HOE ne peut répondre à l’afflux de blessés, qui doivent attendre leur tour dans des conditions épouvantables.
- Le service de Santé et le Grand Quartier Général se renvoient la responsabilité d’un sur l’autre, mais la gestion du premier est la plus remise en cause, sachant que Justin Godart avait accepté le principe d’être soumis aux décisions militaires et au secret qui les accompagne dès le début de sa mission.
- « Il semble, pour des raisons logistiques évidentes, que les évacuations soient très lentes », ce qui ne permet pas de décongestionner les HOE. « La priorité absolue, c’est la bataille, et non les blessés. » Le réseau ferré n’a pas été prévu pour permettre à la fois l’évacuation des blessés, le stationnement des trains devant les HOE et le ravitaillement du front (qui se fait à partir de Fère-en-Tardenois sur une voie unique). « Le manque de préparation, une fois encore, est patent. »
- De plus, le nombre de trains est insuffisant et les absurdités sont nombreuses : il n’est pas rare qu’un blessé léger soit envoyé à Orléans, et un grave à Bordeaux …
Les limites des solutions administratives
- Un décret du 11 mai 1917 confère au service de Santé des pouvoirs digne d’une arme (comme l’artillerie), sans lui en donner le statut cependant. Il peut s’exprimer, fait partie des états-majors et disposent d’une autonomie certaine.
- Cette décision calme rapidement la polémique, « mais il n’est pas certain qu’elle aurait suffi pour permettre au service de Santé de faire face à une nouvelle offensive du Chemin des Dames. »
- Tout simplement, il n’y a pas assez de chirurgiens en France pour soigner tous les blessés, à moins de vider totalement les régions qui ne sont pas sur le front …
- « Personne, à l’état-major, ne s’était sans doute posé la question, mais il est clair que Nivelle avait conçu une bataille telle qu’elle ferait plus de blessés qu’on en pouvait soigner. Si la catastrophe de s’est pas reproduite, c’est sans doute que la réorganisation menée à chaud par Justin Godart a été efficace, mais c’est surtout parce que le commandement s’est abstenu de lancer de nouvelles offensives d’une telle ampleur. »
Source : Antoine Prost, « Le désastre sanitaire du Chemin des Dames », in N. Offenstadt (dir.), op. cit., pages 137 à 151
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