jeudi 29 mai 2014

E comme Entre Aisne et Vesle




- « Le versant sud de l'Aisne découvre, dans un tendre lointain bleu, son profil uni et paisible. » (Louis Mairet, Carnet d'un combattant)


- Le plateau situé entre Aisne et Vesle n'a pas la même renommée que son voisin du Chemin des Dames, même s'il lui ressemble beaucoup d'un point de vue géographique, avec les deux vallées profondes qui l'encadrent, ses versants pentus (donc difficiles pour les convois notamment) et son sommet relativement plan et à découvert ; les altitudes sont similaires, s’élevant progressivement de 160 mètres à l’ouest à un peu plus de 200 mètres au-dessus de Trigny ou Hermonville.

- Pour les Français et leurs alliés, il joue cependant un rôle essentiel pendant le conflit : premier lieu de repos (relatif) pour les hommes, le plateau est une base d'intendance majeure, qui permet de ravitailler et soigner les unités en première ligne. C'est aussi un lieu très utile à l'artillerie, puisque l'on y a une bonne vision de certaines positions allemandes et des objectifs à atteindre.
- « Il y avait encore des champs qu'on cultivait ; et des paysans, des civils dans ces fermes, des hommes que l'intérêt, peut-être l'amour, tenaient attachés à ce coin de terre. C'était une région où l'on pouvait vivre. Une espèce de paradis ça nous semblait à nous, à quinze, vingt kilomètres des lignes, et fallait de gros obus, ou des bombes d'avions, pour nous atteindre. » (Eugène Dabit, qui se souvient de l'automne 1917 alors qu'il quitte Fismes vers le nord dans Le mal de vivre, 1939)


- Parfois l'inclinaison de la ligne de front rapproche le plateau des premières lignes ; c’est notamment le cas à l’ouest, près de la confluence entre l’Aisne et la Vesle.
- Cette région de transit connaît deux occupations allemandes (les combats ayant lieu sur l’Aisne ou sur la Vesle, rarement entre les deux rivières) : une brève début septembre 1914, l’autre plus durable entre fin mai et septembre 1918, avec des dégâts plus importants.




lundi 19 mai 2014

E comme Ecole




- Le 267e RI français est en première ligne autour de Soupir et de Verneuil depuis l’automne 1914, avec comme base arrière Dhuizel (un peu plus de 200 habitants avant la guerre). Le journal du régiment, Marmita, nous narre la première rentrée scolaire du conflit dans ce village.


- « Les vacances, les longues vacances de près de dix mois ont fini. C’est pourquoi à D….., dans le joli soleil du matin, les enfants, propres, nets, l’air étonné, le regard curieux, la mine affairée, s’abordent, se réunissent, se forment en minuscules grappes et, marchant vite, ce qui ne les empêchent pas de s’arrêter souvent, grimpent vers la petite école. »
- Les petits groupes ne peuvent faire abstraction de la situation : ils passent devant l’infirmerie où sont soignés les blessés, tandis que parfois résonnent « quelques coups sourds derrière les collines » ; enfin, l’instituteur n’est plus celui d’avant l’été 1914, et celui qui le remplace porte un habit de soldat …
- Il fait s’asseoir les enfants dans la classe, filles à droite, garçons à gauche, assis, tassés, accoudés, les bras croisés, en toutes attitudes, mais attentifs. Un maître en capote bleue (mais quel dommage qu’il n’ait pas son sabre !) ne peut pas faire la classe comme celui de l’an dernier qui était en veste grise, alors on va écouter. »
- Le nouvel instituteur, qui a écrit « Vive la France ! » au tableau même si la plupart des élèves ne savent pas lire, comprend que la situation est particulière et décide d’abord de parler avec eux. Il leur explique que leur ancien maître est soldat, ce qu’est la guerre : « M’sieur, c’est voir passer des soldats, quand ils vont à la tranchée puis jouer avec eux quand ils se reposent ici, puis entendre des coups de canon … »
- On en vient à parler des Allemands, des « Boches » ; les enfants évoquent un homme du village mort au combat, l’invasion brève mais durement ressentie de l’été 1914, les dégâts occasionnés : « la grande ferme qui est là-bas au-delà de la colline, près du canal [ferme du Metz ?], on dit qu’ils l’ont brûlée, démolie et que, probable, les fermiers qui étaient riches, ils seront pauvres. »
- « Un bruit de moteur à ce moment se fit entendre. Il venait su Sud et montait vers le Nord. C’était pour l’instituteur la meilleure façon de conclure sa première classe : Récréation, mes enfants ; allez voir passer l’aéro aux trois couleurs. »


- « … Et si cela ne s’est pas passé ainsi peut-être, cela y a-t-il quelque peu ressemblé. »



Source : Marmita n°13, 10 août 1915


mercredi 7 mai 2014

C comme Concert



- Le 16 septembre 1914, la 38e Brigade d’infanterie (41e et 70e RI, de la 19e DI) est transférée des abords de Reims vers Beaurieux pour faire face aux tentatives offensives allemandes. Mise à disposition du 18e CA, elle reçoit immédiatement ses ordres.

- « A la tombée de la nuit, le bruit court que la brigade va faire une attaque de nuit sur Craonne que les Boches ont repris ce soir à 17 heures. On ne sait rien de sûr ; mais il doit certainement y avoir quelque chose de vrai dans ce bruit ; les musiques des deux régiments reçoivent l’ordre de donner un petit concert. On réunit sept à huit musiciens ; ce sont tous ceux qui ont encore leurs instruments en bon état. Tous les autres ont perdu les leurs ou les ont détériorés. On joue comme on peut les refrains connus : “Auprès de ma blonde ! Sambre-et-Meuse !” Un cercle de têtes entoure notre petit orchestre ; quelques clairons accourent et accompagnent la musique de notes claires. La joie revient dans tous les cœurs, malgré le danger de l’attaque qui se prépare ; on surprend plus d’un soldat qui vérifie si sa baïonnette tient solidement au bout de son fusil. La nuit est tombée maintenant ; la plaine s’éclaire de mille feux. Je vais toucher nos vivres au convoi de ravitaillement dont les fourgons s’alignent dans la rue de Beaurieux. Tout le monde est en joie, on chante, on siffle, on s’amuse. Soudain deux obus s’abattent en plein dans le milieu du village, suivis de deux autres aussitôt après. Les Allemands ont sans doute entendu notre concert ; en tout cas, ils voient certainement la lueur des feux des deux régiments. On entend le cri : “Eteignez les feux !” En quelques secondes, l’ordre a passé de bouche en bouche ; une minute après, c’est l’obscurité la plus profonde. Le bombardement s’arrête là. »

Source : Docteur Georges Veaux, « En suivant nos soldats de l’Ouest », article de Ouest-Eclair, 17/02/1917

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