- Dans les
derniers jours d'août et les premiers jours de septembre 1914, une vague d'
« espionnite » touche une partie des civils et de l'armée française
face au défaite et au nécessaire repli. Deux affaires marquantes ont lieu dans
l'Aisne, qui sont après-guerre au cœur du combat de la Ligue des Droits de
l'Homme dirigée par l'axonais Henri Guernut.
Nicolas
Mertz à Bourg-et-Comin
- Le 29 août
1914, la gendarmerie française arrête Nicolas Mertz, cafetier à Pierrepont
(nord-est de Laon), accusé d'espionnage au service de l'Allemagne. A ses côtés
est amené le maréchal des logis Sabry (17e RAC), à qui l'on reproche
de lui avoir donné deux cartouches (Mertz les voulait en fait comme souvenir de
guerre et les avait demandé au soldat la veille). Les deux hommes, destinés au
Conseil de guerre, sont amenés vers les sous-sols de l'hôtel de ville de Laon,
déjà remplis d'une cinquantaine de personnes, accusées d'espionnage entre autres.
- Après des
heures difficiles, le groupe doit partir le 31 sous la menace de l'arrivée des
Allemands, encadré par des gendarmes à cheval ou à bicyclette. Très corpulent,
la cinquantaine passée, Nicolas Mertz a beaucoup de mal à suivre le rythme de
la marche. A Presles-et-Thierny il s'effondre, puis se relève sous la menace
d'une exécution immédiate ; on lui accorde quelques kilomètres en voiture
avant la pause nocturne à Bourg-et-Comin, dans le bâtiment de la
pompe, sur la dalle en ciment.
- Épuisé,
Mertz se traîne quelques minutes alors que l'on repart dès 4h30 en direction de
Jonchery-sur-Vesle. Il finit par s'effondrer dans le fossé, cette fois
incapable de se relever. On le menace de lui appliquer immédiatement la loi
martiale. Rien n'y fait cette fois. Il demande à parler avec Sabry : « Maréchal
des logis, je n'en peux plus, je vais mourir. Je vous prie respectueusement de
faire savoir à ma famille l'endroit où je repose. »
- Le
lieutenant en charge du groupe remet alors son revolver à un gendarme cycliste,
qui exécute Nicolas Mertz de deux balles dans la tête, le 1er septembre 1914.
- Après la
guerre, la Ligue des Droits de l'Homme de Henri Guernut s'engage pour la
réhabilitation du cafetier auprès du ministre de la Guerre André Maginot. Le 1er
février 1923, celui exonère le lieutenant de gendarmerie : « Les
résultats de l'enquête permettent de conclure qu'il n'y a pas eu meurtre, mais
exécution d'un prisonnier suspect que le chef d'escorte a estimé, l'ennemi le
suivant de près, ne pouvoir laisser en arrière sans danger pour la sécurité de
l'armée en retraite. » Guernut avance le fait que son caractère
« suspect » provient peut-être du fait que Mertz est né au Luxembourg
et naturalisé français, met en avant ses idées fortement républicaines et le
soutien des habitants de son lieu de vie pour défendre la mémoire du défunt. Il
interroge le lieutenant – devenu entre temps capitaine – qui argue des
conditions particulières des faits ; « Et vous vous imaginez que
la guerre est une excuse ? Jamais, à nos yeux, la guerre n'excuse le
crime : elle l'aggrave, au contraire, car elle en est un autre. »
- Finalement,
face aux menaces d'attaques en justice, Maginot propose un dédommagement à la
veuve de Nicolas Mertz le 6 octobre 1923 (une rente viagère de 2 000
francs et une indemnité de 20 066 francs).
Jules
Copie à Chamouille
-
L'instituteur de Barenton-Bugny (nord de Laon), Jules Copie, parvient à
s'échapper des mains des Allemands qui l'ont capturé pour possession d'un fusil
le 1er septembre 1914. A Laon, son comportement paraît bizarre à
certains (ils demande plusieurs fois la route de Soissons tout en prenant
systématiquement la direction opposée) qui le dénoncent aux militaires
français. A Ardon, où refluent des éléments des 205e et 332e
RI et du 42e RAC, on le fouille : la rumeur dit qu'on trouve
sur lui des carnets et des cartes d'état-major de la région, ainsi qu'un
passeport.
- Accusé
d'être un espion, Jules copie est menotté par les gendarmes de Liesse et emmené
le 2 dans la retraite des soldats français en direction de Reims. A Bruyères,
l'instituteur Oriat intervient en sa faveur, n'obtenant que la promesse d'un
conseil de guerre pour son collègue.
- Cependant,
arrivé sur l'Ailette entre Chamouille et Neuville, le convoi est lourdement
bombardé, sans pouvoir discerner l'origine des obus. La panique s'empare des
hommes ; le gendarme qui accompagne Copie demande à un conducteur
d'attelage de l'aider à le transporter. « Tous deux entraînent Copie.
Mais celui-ci, haletant, à bout de souffle, s'affaisse dans le fossé. ʺAllons,le
Boche, debout ! Debout ou je te tue !ʺ Copie ne put se relever.
ʺTue-leʺ , dit le gendarme. Le conducteur tire à bout portant deux coups de
revolver sur Copie qui se renverse. Le gendarme, avec son mousqueton, l'achève
et se sauve. La tragédie est terminée »
- Comme dans
le cas de Nicolas Mertz, la Ligue des Droits de l'Homme lance une campagne pour
retrouver ceux qu'elle considère comme les assassins de Jules Copie et
permettre de réhabiliter celui-ci. Si la justice reconnaît innocent le paysan Roussel
– le conducteur qui a tiré sur l'instituteur –, le gouvernement finit par
accorder une pension aux mère et épouse de l'instituteur décédé.
La
réhabilitation
-
Insatisfaite, la LDH entreprend une action législative afin qu'il existe une
possibilité juridique de réviser des exécutions sommaires (loi votée pour les
militaires en août 1924, pour les civils en décembre).
- Nicolas
Mertz et Jules Copie sont réhabilités par la cour d'appel d'Amiens en février
1925.
Source :
Henri Guernut, cité par Claude Carême, Bulletin de la Fédérations des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie de l’Aisne,
Tome L, 2005
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