- Le Chemin des Dames occupe peu de place dans l’historiographie militaire allemande, « le “trauma” de la Marne et l’ “effondrement” de l’automne 1918 sont les deux pierres angulaires entre lesquelles évolue l’essentiel du débat public et des travaux d’histoire militaire depuis 1919.»
- C’est avant tout des deux journées des 16 et 17 avril 1917 que l’on traite outre-Rhin, afin d’analyser la capacité défensive allemande.
- Le général Hermann von Kuhl, devenu historien amateur et très respecté, publie en 1929 un ouvrage sur la guerre. Celui-ci, derrière les critiques adressées aux Français, lui permet de mettre en avant la cohésion et la stratégie défensive efficace du haut-commandement allemand.
- En effet, la conception allemande a changé avec Ludendorff et Hindenburg (sous l’influence de l’état-major, notamment du colonel Max Bauer), à partir de décembre 1916 : on accepte d’affaiblir la première ligne pour favoriser les contre-attaques, on donne une grande importance aux mitrailleuses et aux « divisions d’intervention », avec une plus grande autonomie de décision des unités combattantes.
- Cette idée de défense en profondeur qui aurait surpris l’état-major français est reprise par Max Schwarte et surtout dans l’énorme synthèse en 14 volumes, Der Weltkrieg 1914-1918, publiée à partir de 1925 (le 12e volume consacré à 1917 paraît en … 1939) par le Reichsarchiv de Potsdam. Pour cet ouvrage, le bilan des combats des 16 et 17 avril est très positif (surtout si on le compare aux pertes en Artois), notamment grâce à la bonne préparation des troupes du Kronprinz, qui s’attendait à une offensive depuis plusieurs moi.
- La manière « défensive » de remporter des victoires marque pour longtemps les conceptions et l’historiographie militaires allemandes, beaucoup plus que l’offensive réussie du 27 mai 1918 par exemple …
- Un autre aspect majeur abordé est « la question de savoir dans quelle mesure les autorités militaires allemandes étaient au courant des mutineries qui secouent, en mai et juin, l’armée française », mutineries fréquemment évoquées dans les ouvrages d’après-guerre, que ce soit dans ceux évoqués plus haut ou dans les souvenirs de Ludendorff parus en 1919.
- « Beaucoup d’éléments laissent à penser que les refus d’obéissance du côté français attirent assez tôt l’attention des troupes allemandes, que ce soit par l’interception des ordres ou par l’intermédiaire des prisonniers. » Mais la vraie prise de conscience de l’ampleur du phénomène est postérieure à l’apogée du mouvement et donc inexploitée (en outre, les abandons de poste côté français sont finalement très rares).
- Les mutineries sont aussi un moyen de mettre en garde contre une conduite trop autoritaire de la guerre et des hommes, mise en garde restée longtemps profondément ancrée aussi bien à l’état-major que parmi les soldats.
Source : Benjamin Ziemann, « Le Chemin des Dames dans l’historiographie militaire allemande », in N. Offenstadt (dir.), op. cit., pages 341 à 349
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Connaître et comprendre le lieu, les hommes, les événements et la mémoire du Chemin des Dames
mardi 25 août 2009
samedi 22 août 2009
B comme Brugère
- Militaire français président de la commission qui enquête sur l’échec de l’offensive Nivelle en 1917
- Uzerche (Corrèze) 1841 – Lautaret 1918
- Sorti de Polytechnique en 1859, Joseph Brugère mène une longue et brillante carrière qui le voit participer à la guerre contre la Prusse (1870) et à l’expédition de Tunisie (1881) entre autres, tout en grimpant les échelons de la hiérarchie et en devenant conseiller des présidents de la République. Il est gouverneur militaire de Paris de 1898 à 1904 (généralissime, il est le plus haut officier de l’armée française), puis en retraite en 1906.
- En 1914, il demande à être réintégré au service actif puis reçoit le commandement des divisions territoriales sur le front.
- Le 14 juillet 1917, le ministre de la guerre Paul Painlevé lui confie la présidence de la commission constituée avec les généraux Foch et Gouraud. Les consignes du ministre sont claires : « C’est uniquement une commission d’études dont les membres sont, en toute impartialité, invités à rechercher d’une part les conditions au milieu desquelles s’est développée l’offensive d’avril, et à préciser d ‘autre part le rôle du haut commandement. Elle n’a aucune sanction à proposer comme conclusion de ses travaux. »
- La commission se donne deux objectifs : entendre seulement les principaux responsables de l’offensive, les généraux Nivelle, Micheler, Mangin et Mazel, et d’autre part faire toute la lumière sur la réunion de Compiègne du 6 avril où Nivelle a proposé sa démission, avant d’être conforté par Painlevé.
- La conclusion de la commission sur cette réunion est défavorable au gouvernement (notamment à travers le témoignage de Pétain), les discussions ayant créé confusion et ayant semé le doute au sommet de la hiérarchie militaire.
- Du 22 août au 4 octobre, douze séances permettent d’étudier précisément tous les aspects de l’offensive d’avril. Le rapport final, comparant les pertes aux offensives champenoises de 1915, mettant au profit de Nivelle le retrait allemand sur la ligne Hindenburg et totalisant ce qui a été pris aux Allemands, conclut : « En somme, la bataille de l’Aisne ne peut être assimilée à un échec militaire. » Les généraux ne sont pas vivement critiqués.
- Cependant la commission Brugère n’évoque pas le point essentiel : fallait-il poursuivre l’offensive ? Après remise du rapport, qu’il juge insuffisant, Painlevé demande des précisions. Mais la commission refuse, car cela impliquerait de convoquer les officiers subalternes. De plus, le gouvernement est renversé et la victoire de La Malmaison « gomme » en partie l’échec d’avril. On en reste donc là …
Source :
- Denis Rolland, « Ni responsables ni coupables : la Commission Brugère », in N. Offenstadt (dir.), op. cit., pages 249 à 252
- Uzerche (Corrèze) 1841 – Lautaret 1918
- Sorti de Polytechnique en 1859, Joseph Brugère mène une longue et brillante carrière qui le voit participer à la guerre contre la Prusse (1870) et à l’expédition de Tunisie (1881) entre autres, tout en grimpant les échelons de la hiérarchie et en devenant conseiller des présidents de la République. Il est gouverneur militaire de Paris de 1898 à 1904 (généralissime, il est le plus haut officier de l’armée française), puis en retraite en 1906.
- En 1914, il demande à être réintégré au service actif puis reçoit le commandement des divisions territoriales sur le front.
- Le 14 juillet 1917, le ministre de la guerre Paul Painlevé lui confie la présidence de la commission constituée avec les généraux Foch et Gouraud. Les consignes du ministre sont claires : « C’est uniquement une commission d’études dont les membres sont, en toute impartialité, invités à rechercher d’une part les conditions au milieu desquelles s’est développée l’offensive d’avril, et à préciser d ‘autre part le rôle du haut commandement. Elle n’a aucune sanction à proposer comme conclusion de ses travaux. »
- La commission se donne deux objectifs : entendre seulement les principaux responsables de l’offensive, les généraux Nivelle, Micheler, Mangin et Mazel, et d’autre part faire toute la lumière sur la réunion de Compiègne du 6 avril où Nivelle a proposé sa démission, avant d’être conforté par Painlevé.
- La conclusion de la commission sur cette réunion est défavorable au gouvernement (notamment à travers le témoignage de Pétain), les discussions ayant créé confusion et ayant semé le doute au sommet de la hiérarchie militaire.
- Du 22 août au 4 octobre, douze séances permettent d’étudier précisément tous les aspects de l’offensive d’avril. Le rapport final, comparant les pertes aux offensives champenoises de 1915, mettant au profit de Nivelle le retrait allemand sur la ligne Hindenburg et totalisant ce qui a été pris aux Allemands, conclut : « En somme, la bataille de l’Aisne ne peut être assimilée à un échec militaire. » Les généraux ne sont pas vivement critiqués.
- Cependant la commission Brugère n’évoque pas le point essentiel : fallait-il poursuivre l’offensive ? Après remise du rapport, qu’il juge insuffisant, Painlevé demande des précisions. Mais la commission refuse, car cela impliquerait de convoquer les officiers subalternes. De plus, le gouvernement est renversé et la victoire de La Malmaison « gomme » en partie l’échec d’avril. On en reste donc là …
Source :
- Denis Rolland, « Ni responsables ni coupables : la Commission Brugère », in N. Offenstadt (dir.), op. cit., pages 249 à 252
mercredi 19 août 2009
G comme Genteur (Noël)
- Maire de Craonne et conseiller général de l’Aisne
- Craonne (1952)
- Noël Genteur grandit à Craonne et y revient après ses études à Paris. Au cours de jeux puis d’explorations plus « sérieuses », il entre en contact avec le passé de sa région : découvertes de munitions, de restes de fortifications, de souterrains, etc.
- En 1977, il s’installe définitivement dans son village natal, où il devient agriculteur (éleveur), bénéficiant notamment de l’expérience et des conseils de son grand-père, Jules, prisonnier des Allemands pendant toute la première guerre et qui avait dû reconstruire l’exploitation familiale dans les années 1920.
- « Je me souviens d’une conversation avec grand-père quelques années seulement avant qu’il parte. Un jour, à l’occasion d’une de ces découvertes, je lui posais des questions sur les conditions de survie des hommes des tranchées, ici, chez nous. Sa réponse fut simple et très courte. « Tu sais, c’est terrible ce qui s’est passé ici. » Je crois, avec le recul, que mon engagement pour mon village et la mémoire du Chemin des Dames découle de cette phrase. […] Quelques rencontres opportunes et certaines circonstances heureuses des dernières années ont suffi à enraciner en moi ce besoin de savoir, d’aller un peu plus loin dans l’histoire de ce sol et de ces hommes qui l’ont foulé. Lentement, je me laissais imprégner par une impression d’injustice à leur mémoire en même temps que grandissait la nécessité d’assumer cette dette. »
- Depuis lors, Noël Genteur a recueilli beaucoup de témoignages d’anciens combattants revenus sur le lieu de la bataille qui les a marqués, ou de membres de leur famille. « Pourtant il ne serait pas raisonnable de penser que la mémoire seule suffit à maîtriser le passé ; elle s’accompagne nécessairement du travail des historiens, de leur rigueur dans l’analyse et de la quête de la vérité qui anime leurs débats contradictoires. »
- Son engagement civique pour la mémoire et la sauvegarde du Chemin des Dames est important : il est maire de son village (depuis 1995 ?) puis conseiller général de son canton (2004).
- Il consacre aussi depuis des années beaucoup de temps, d’énergie et d’enthousiasme communicatif à guider des groupes, notamment de scolaires, dans la visite du Vieux Craonne ou du plateau de Californie.
- « Passer sa vie sur ce lieu, où l’histoire accumule autant de sépultures d’hommes tombés les uns à côté des autres dans un silence si lourd, ces tombes ignorées que seule la nature fleurit chaque printemps d’un ornement vulnérable, relève d’un mystère qui doit venir d’ailleurs. Je remercie cette terre qui m’a amené à ces hommes et à leurs souffrances. Aujourd’hui c’est à eux que je dois d’adorer cette terre redevenue libre et sauvage. »
Source principale : « C’est à Craonne, sur le plateau … Récit », article autobiographique de Noël Genteur, dans N. Offenstadt (dir.), op. cit., pages 454 à 463
Photographies issues d'une visite avec les élèves du lycée Camille Desmoulins (20/03/2009), au cours de laquelle nous avons eu la chance de croiser M. Noël Genteur qui accompagnait un autre groupe de scolaires ...)
mardi 18 août 2009
D comme Désastre sanitaire
- Comme en ce qui concerne les décès, le nombre de blessés du Chemin des Dames lors de l’offensive Nivelle est difficile à évaluer, encore plus compte tenu de la difficulté à placer des bornes chronologiques à l’événement. Le service de Santé indique environ 80.000 blessés pour deux semaines de combat mais on a parlé de 120.000 évacués (article censuré d’Eugène Lautier). Il faut dire que la bataille des chiffres est aussi une bataille politique, qui permet d’affaiblir Nivelle.
Un conflit de pouvoir
- Le sous-secrétariat d’Etat au service de Santé est créé le 2 juillet 1915, avec « la volonté d’étendre le contrôle du pouvoir civil sur les autorités militaires » qui donnent la priorité totale aux médecins militaires et laissant les tâches subalternes aux civils, négligeant parfois le soin des blessés.
- Dès le début, le sous-secrétariat d’Etat est confié à un avocat, Justin Godart (l’ancien responsable de la santé au ministère de la Guerre, le général Troussaint, se sentant désavoué, démissionne). Celui-ci s’y montre efficace, et il est obéi par les médecins militaires.
Le service de santé au Chemin des Dames
- Dès les premiers jours de l’offensive Nivelle, les critiques pleuvent contre le service de santé, jugé inefficace et responsable de l’aggravation du bilan humain. Une Commission d’enquête sénatoriale est créée et se rend sur le terrain fin avril puis mi-mai, et son rapport est accablant, que ce soit en ce qui concerne les HOE (Hôpitaux d'orientation et d'évacuation) ou le service des évacuations : « la commission blâme l’autorité responsable du fonctionnement du service de Santé au cours de la dernière offensive. »
- « En avril 1917, la chaîne sanitaire semble avoir fonctionné correctement jusqu’aux HOE. » En revanche ceux-ci connaissent une crise majeure, submergés par une vague de blessés, y compris de blessés légers arrivés par leurs propres moyens sans en avoir été empêchés …
- « La question cruciale est alors de savoir si les moyens étaient suffisants. […] Insuffisantes en raison de l’imprévision du commandement, les capacités sanitaires prévues n’étaient en outre pas prêtes le 16 avril. » Aucun HOE ne peut répondre à l’afflux de blessés, qui doivent attendre leur tour dans des conditions épouvantables.
- Le service de Santé et le Grand Quartier Général se renvoient la responsabilité d’un sur l’autre, mais la gestion du premier est la plus remise en cause, sachant que Justin Godart avait accepté le principe d’être soumis aux décisions militaires et au secret qui les accompagne dès le début de sa mission.
- « Il semble, pour des raisons logistiques évidentes, que les évacuations soient très lentes », ce qui ne permet pas de décongestionner les HOE. « La priorité absolue, c’est la bataille, et non les blessés. » Le réseau ferré n’a pas été prévu pour permettre à la fois l’évacuation des blessés, le stationnement des trains devant les HOE et le ravitaillement du front (qui se fait à partir de Fère-en-Tardenois sur une voie unique). « Le manque de préparation, une fois encore, est patent. »
- De plus, le nombre de trains est insuffisant et les absurdités sont nombreuses : il n’est pas rare qu’un blessé léger soit envoyé à Orléans, et un grave à Bordeaux …
Les limites des solutions administratives
- Un décret du 11 mai 1917 confère au service de Santé des pouvoirs digne d’une arme (comme l’artillerie), sans lui en donner le statut cependant. Il peut s’exprimer, fait partie des états-majors et disposent d’une autonomie certaine.
- Cette décision calme rapidement la polémique, « mais il n’est pas certain qu’elle aurait suffi pour permettre au service de Santé de faire face à une nouvelle offensive du Chemin des Dames. »
- Tout simplement, il n’y a pas assez de chirurgiens en France pour soigner tous les blessés, à moins de vider totalement les régions qui ne sont pas sur le front …
- « Personne, à l’état-major, ne s’était sans doute posé la question, mais il est clair que Nivelle avait conçu une bataille telle qu’elle ferait plus de blessés qu’on en pouvait soigner. Si la catastrophe de s’est pas reproduite, c’est sans doute que la réorganisation menée à chaud par Justin Godart a été efficace, mais c’est surtout parce que le commandement s’est abstenu de lancer de nouvelles offensives d’une telle ampleur. »
Source : Antoine Prost, « Le désastre sanitaire du Chemin des Dames », in N. Offenstadt (dir.), op. cit., pages 137 à 151
Un conflit de pouvoir
- Le sous-secrétariat d’Etat au service de Santé est créé le 2 juillet 1915, avec « la volonté d’étendre le contrôle du pouvoir civil sur les autorités militaires » qui donnent la priorité totale aux médecins militaires et laissant les tâches subalternes aux civils, négligeant parfois le soin des blessés.
- Dès le début, le sous-secrétariat d’Etat est confié à un avocat, Justin Godart (l’ancien responsable de la santé au ministère de la Guerre, le général Troussaint, se sentant désavoué, démissionne). Celui-ci s’y montre efficace, et il est obéi par les médecins militaires.
Le service de santé au Chemin des Dames
- Dès les premiers jours de l’offensive Nivelle, les critiques pleuvent contre le service de santé, jugé inefficace et responsable de l’aggravation du bilan humain. Une Commission d’enquête sénatoriale est créée et se rend sur le terrain fin avril puis mi-mai, et son rapport est accablant, que ce soit en ce qui concerne les HOE (Hôpitaux d'orientation et d'évacuation) ou le service des évacuations : « la commission blâme l’autorité responsable du fonctionnement du service de Santé au cours de la dernière offensive. »
- « En avril 1917, la chaîne sanitaire semble avoir fonctionné correctement jusqu’aux HOE. » En revanche ceux-ci connaissent une crise majeure, submergés par une vague de blessés, y compris de blessés légers arrivés par leurs propres moyens sans en avoir été empêchés …
- « La question cruciale est alors de savoir si les moyens étaient suffisants. […] Insuffisantes en raison de l’imprévision du commandement, les capacités sanitaires prévues n’étaient en outre pas prêtes le 16 avril. » Aucun HOE ne peut répondre à l’afflux de blessés, qui doivent attendre leur tour dans des conditions épouvantables.
- Le service de Santé et le Grand Quartier Général se renvoient la responsabilité d’un sur l’autre, mais la gestion du premier est la plus remise en cause, sachant que Justin Godart avait accepté le principe d’être soumis aux décisions militaires et au secret qui les accompagne dès le début de sa mission.
- « Il semble, pour des raisons logistiques évidentes, que les évacuations soient très lentes », ce qui ne permet pas de décongestionner les HOE. « La priorité absolue, c’est la bataille, et non les blessés. » Le réseau ferré n’a pas été prévu pour permettre à la fois l’évacuation des blessés, le stationnement des trains devant les HOE et le ravitaillement du front (qui se fait à partir de Fère-en-Tardenois sur une voie unique). « Le manque de préparation, une fois encore, est patent. »
- De plus, le nombre de trains est insuffisant et les absurdités sont nombreuses : il n’est pas rare qu’un blessé léger soit envoyé à Orléans, et un grave à Bordeaux …
Les limites des solutions administratives
- Un décret du 11 mai 1917 confère au service de Santé des pouvoirs digne d’une arme (comme l’artillerie), sans lui en donner le statut cependant. Il peut s’exprimer, fait partie des états-majors et disposent d’une autonomie certaine.
- Cette décision calme rapidement la polémique, « mais il n’est pas certain qu’elle aurait suffi pour permettre au service de Santé de faire face à une nouvelle offensive du Chemin des Dames. »
- Tout simplement, il n’y a pas assez de chirurgiens en France pour soigner tous les blessés, à moins de vider totalement les régions qui ne sont pas sur le front …
- « Personne, à l’état-major, ne s’était sans doute posé la question, mais il est clair que Nivelle avait conçu une bataille telle qu’elle ferait plus de blessés qu’on en pouvait soigner. Si la catastrophe de s’est pas reproduite, c’est sans doute que la réorganisation menée à chaud par Justin Godart a été efficace, mais c’est surtout parce que le commandement s’est abstenu de lancer de nouvelles offensives d’une telle ampleur. »
Source : Antoine Prost, « Le désastre sanitaire du Chemin des Dames », in N. Offenstadt (dir.), op. cit., pages 137 à 151
dimanche 16 août 2009
C comme Ciry-Salsogne
- Village des rives gauche de l’Aisne et de la Vesle, au sud de Condé-sur-Aisne
- 800 habitants
- En 1914, Ciry-Salsogne est un village de près de 600 habitants, qui vit notamment de sa sucrerie.
- Après la contre-offensive alliée de septembre et la poussée allemande sur Vailly de janvier 1915, il est à proximité immédiate du saillant que fait le front vers le sud.
- Gagnant un peu de tranquillité après avril 1917, Ciry devient une base arrière importante et un lieu de transit pour les soldats français, qui s’abritent notamment dans ses creutes. Le 5 juin, une mutinerie y éclate au sein du 158e RI.
- Le village subit une occupation sévère et des combats sérieux en 1918, surtout lors de l’offensive française, en septembre. Une grande partie du village doit être reconstruit, notamment l’église Saint-Martin entre 1924 et 1926 (classée aux Monument Historiques en 2007). Le château de Salsogne (1683), miné par les Allemands à leur départ, n’est pas reconstruit, et seul la structure extérieure demeure aujourd’hui. Ciry-Salsogne est parrainé par Montpellier pour sa reconstruction.
- La population de Ciry-Salsogne n’est plus que de 342 habitants au recensement de 1921, chiffre qui remonte proche de son niveau antérieur dans les années 1930.
A consulter : http://ciry-salsogne.pagesperso-orange.fr/, un site très riche en documents
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- 800 habitants
- En 1914, Ciry-Salsogne est un village de près de 600 habitants, qui vit notamment de sa sucrerie.
- Après la contre-offensive alliée de septembre et la poussée allemande sur Vailly de janvier 1915, il est à proximité immédiate du saillant que fait le front vers le sud.
- Gagnant un peu de tranquillité après avril 1917, Ciry devient une base arrière importante et un lieu de transit pour les soldats français, qui s’abritent notamment dans ses creutes. Le 5 juin, une mutinerie y éclate au sein du 158e RI.
- Le village subit une occupation sévère et des combats sérieux en 1918, surtout lors de l’offensive française, en septembre. Une grande partie du village doit être reconstruit, notamment l’église Saint-Martin entre 1924 et 1926 (classée aux Monument Historiques en 2007). Le château de Salsogne (1683), miné par les Allemands à leur départ, n’est pas reconstruit, et seul la structure extérieure demeure aujourd’hui. Ciry-Salsogne est parrainé par Montpellier pour sa reconstruction.
- La population de Ciry-Salsogne n’est plus que de 342 habitants au recensement de 1921, chiffre qui remonte proche de son niveau antérieur dans les années 1930.
A consulter : http://ciry-salsogne.pagesperso-orange.fr/, un site très riche en documents
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vendredi 14 août 2009
C comme Commémorations
- Dans l’immédiat après-guerre, peu de commémorations solennelles ont lieu au Chemin des Dames : la priorité va à la reconstruction et au repeuplement des régions dévastées, et « une certaine discrétion préside au souvenir d’une bataille qui n’est pas niée ou oubliée, mais qui reste sans doute gênante. » En ce sens, Verdun se prête davantage au souvenir.
- Les premières cérémonies sont individuelles ou organisées par les anciens combattants d’un régiment ou d’un bataillon. « Contrairement à Verdun, les modalités de la commémoration du Chemin des Dames renvoient dès l’origine à une dispersion, un éclatement. »
- La première cérémonie d’importance est l’inauguration du monument des chars, à Berry-au-Bac, en juillet 1922 : sont présents les généraux Foch, Weygand et Mangin. Mais c’est une mémoire particulière, qui n’évoque que l’épisode précis du premier engagement des blindés.
- « La mémoire de la bataille du Chemin des Dames commence à se fixer dans les années 1927 et 1928 », notamment avec le voyage d’Edouard Herriot (ministre de l’Instruction), le 24 juillet 1927, qui inaugure plusieurs monuments aux morts et préside une cérémonie au cimetière de Cerny-en-Laonnois, qui devient le lieu central du souvenir au Chemin des Dames.
- Le 30 octobre de la même année est inauguré le monument d’Hurtebise, qui permet d’intégrer la bataille de 1917 « dans un ensemble plus large et plus souple. » Le monument présente « une vision patriotique, dans une acception du terme renvoyant à la Belle Epoque – ce qui est finalement assez surprenant, surtout à considérer le rôle joué par les anciens combattants dans cette commémoration » (l’UNC a financé le monument, donné aux autorités). La cérémonie, très classique, « correspond à une vision de droite, respectueuse des institutions et des hiérarchies. » Elle privilégie la vision de l’état-major et insiste sur l’aspect glorieux de l’histoire, le monument reconstruit témoignant du courage et du patriotisme des habitants de la région et des Français, résolus à se battre contre l’envahisseur quelle que soit l’époque : « De tels souvenirs font de cette frontière une terre sacrée, et il est juste qu’un monument nouveau, remplaçant un monument détruit, jalonne, une fois de plus, une si belle histoire. » (Gabriel Hanotaux dans La Croix, 13 novembre 1927)
- Face à cette vision patriotique se manifeste une vision pacifiste, « qui dénonce et critique » (à l’instar d’Eugène Dabit à propos du monument d’Hurtebise), très présente chez les anciens combattants.
- On la perçoit lors de l’inauguration en 1928 du « Monument des Basques », en souvenir de la 36e DI qui comprenait beaucoup de soldats originaires du Sud-ouest. Si la mise en œuvre et la cérémonie classiques, l’absence d’autorité politique est significative (seuls les militaires sont présents). En effet, la statue elle-même est d’un style différent, « avec un visage grave et calme, contrastant avec l’attitude militaire et patriotique du monument d’Hurtebise. Il est, par son originalité, une critique implicite des monuments guerriers : en ce sens il est pacifiste. » S’ajoute à cela le fait que le 18e RI basé à Pau a été très touché par la répression consécutive aux mutineries.
- Le monument des Crapouillots à Laffaux « reste plus discret et confidentiel », tandis que le calvaire de l’Ange gardien, inauguré en 1924 de façon très officielle, « n’est pas ensuite commémoré de façon régulière. »
- Après 1945, Cerny devient le lieu central des commémorations, notamment à travers la construction de la chapelle-mémorial édifiée par l’UNC et inaugurée en 1951. « Le quarantième anniversaire de la guerre marque sa consécration » : visite du ministre des Anciens Combattants, cérémonies placées sous le patronage du président de la République, mise à contribution de tous les villages de la zone (illumination du front, éclairage des monuments). Pour la première fois les troupes coloniales sont mises en valeur (1954 correspond au centenaire de leur création). On rend aussi hommage aux combattants anglais et aux Français morts en Italie en 1917. « Il ne s’agit plus de célébrer une division ou un combat particulier, mais de rendre hommage aux combattants en général. » Les discours reconnaissent « l’insuccès » de l’offensive, l’entêtement et les erreurs du commandement. C’est ce que fait aussi le maréchal Juin, ancien combattant du Chemin des Dames, à plusieurs occasions.
- En 1962, c’est à Cerny que le chancelier Adenauer tient à se rendre à titre privé, pour se recueillir dans un cimetière allemand, accompagné du général de Gaulle.
- En 1967, le ministre des Armées, Pierre Messmer, est présent pour la cérémonie du cinquantenaire de la bataille, avec un grand succès populaire et chez les anciens combattants. Mais le discours officiel insiste sur le patriotisme et l’obéissance, sans évoquer les mutineries : « Ce sont les sacrifices, le sens du devoir et de l’obéissance, la générosité de ces soldats que nous évoquons avec émotion. » (P. Messmer) La cérémonie est œcuménique, met en valeur la réconciliation franco-allemande mais garde un aspect fortement militaire.
- En 1967 comme l’année suivante, il faut noter que les cérémonies de Cerny sont l’occasion de références à la guerre du Vietnam (appel à la paix en 1968 par un des présidents d’anciens combattants).
- Pour le 60e anniversaire, le dispositif prend encore de l’ampleur : il s’étale sur 3 jours, avec notamment un « son et lumières » à l’abbaye de Vauclair, exposition sur les villageois de la région pendant la guerre, conférence de Guy Pedroncini sur l’offensive Nivelle et projection des Croix de bois. Les cérémonies officielles se déroulent à Berry-au-Bac et Cerny, en présence de l’ambassadeur de RFA.
- Le dernier tournant important dans le souvenir du Chemin des Dames est 1998 : pour la première fois une autorité politique majeure, le Premier ministre Lionel Jospin, évoque les « fusillés pour l’exemple » et leur réhabilitation dans un discours à Craonne, déclenchant ainsi une vive polémique. « Le gouvernement rompt ainsi une tradition de propos patriotiques convenus et édulcorés. » L’Etat « se désolidarise alors d’une vision d’état-major de la bataille, pour se placer dans une perspective à la fois plus proche de la réalité historique et plus sensible au vécu des combattants. » Le choix de Craonne à la place de Cerny montre aussi une volonté de changement du gouvernement.
- « Après avoir été étouffé par le poids du souvenir de Verdun, qui reste le lieu majeur du souvenir de la Grande Guerre [comme le montre les cérémonies du 11 novembre 2008, dans lesquelles le président de la République reprend néanmoins le thème de la réhabilitation des fusillés, cette fois sans déclencher de polémique, NDLA], le Chemin des Dames semble pouvoir témoigner officiellement sur un registre qui lui est propre. »
Source principale : Antoine Calagué, « Commémorer un échec ? Le Chemin des Dames au miroir de Verdun », in N. Offenstadt (dir.), op. cit., pages 286 à 297
- Les premières cérémonies sont individuelles ou organisées par les anciens combattants d’un régiment ou d’un bataillon. « Contrairement à Verdun, les modalités de la commémoration du Chemin des Dames renvoient dès l’origine à une dispersion, un éclatement. »
- La première cérémonie d’importance est l’inauguration du monument des chars, à Berry-au-Bac, en juillet 1922 : sont présents les généraux Foch, Weygand et Mangin. Mais c’est une mémoire particulière, qui n’évoque que l’épisode précis du premier engagement des blindés.
- « La mémoire de la bataille du Chemin des Dames commence à se fixer dans les années 1927 et 1928 », notamment avec le voyage d’Edouard Herriot (ministre de l’Instruction), le 24 juillet 1927, qui inaugure plusieurs monuments aux morts et préside une cérémonie au cimetière de Cerny-en-Laonnois, qui devient le lieu central du souvenir au Chemin des Dames.
- Le 30 octobre de la même année est inauguré le monument d’Hurtebise, qui permet d’intégrer la bataille de 1917 « dans un ensemble plus large et plus souple. » Le monument présente « une vision patriotique, dans une acception du terme renvoyant à la Belle Epoque – ce qui est finalement assez surprenant, surtout à considérer le rôle joué par les anciens combattants dans cette commémoration » (l’UNC a financé le monument, donné aux autorités). La cérémonie, très classique, « correspond à une vision de droite, respectueuse des institutions et des hiérarchies. » Elle privilégie la vision de l’état-major et insiste sur l’aspect glorieux de l’histoire, le monument reconstruit témoignant du courage et du patriotisme des habitants de la région et des Français, résolus à se battre contre l’envahisseur quelle que soit l’époque : « De tels souvenirs font de cette frontière une terre sacrée, et il est juste qu’un monument nouveau, remplaçant un monument détruit, jalonne, une fois de plus, une si belle histoire. » (Gabriel Hanotaux dans La Croix, 13 novembre 1927)
- Face à cette vision patriotique se manifeste une vision pacifiste, « qui dénonce et critique » (à l’instar d’Eugène Dabit à propos du monument d’Hurtebise), très présente chez les anciens combattants.
- On la perçoit lors de l’inauguration en 1928 du « Monument des Basques », en souvenir de la 36e DI qui comprenait beaucoup de soldats originaires du Sud-ouest. Si la mise en œuvre et la cérémonie classiques, l’absence d’autorité politique est significative (seuls les militaires sont présents). En effet, la statue elle-même est d’un style différent, « avec un visage grave et calme, contrastant avec l’attitude militaire et patriotique du monument d’Hurtebise. Il est, par son originalité, une critique implicite des monuments guerriers : en ce sens il est pacifiste. » S’ajoute à cela le fait que le 18e RI basé à Pau a été très touché par la répression consécutive aux mutineries.
- Le monument des Crapouillots à Laffaux « reste plus discret et confidentiel », tandis que le calvaire de l’Ange gardien, inauguré en 1924 de façon très officielle, « n’est pas ensuite commémoré de façon régulière. »
- Après 1945, Cerny devient le lieu central des commémorations, notamment à travers la construction de la chapelle-mémorial édifiée par l’UNC et inaugurée en 1951. « Le quarantième anniversaire de la guerre marque sa consécration » : visite du ministre des Anciens Combattants, cérémonies placées sous le patronage du président de la République, mise à contribution de tous les villages de la zone (illumination du front, éclairage des monuments). Pour la première fois les troupes coloniales sont mises en valeur (1954 correspond au centenaire de leur création). On rend aussi hommage aux combattants anglais et aux Français morts en Italie en 1917. « Il ne s’agit plus de célébrer une division ou un combat particulier, mais de rendre hommage aux combattants en général. » Les discours reconnaissent « l’insuccès » de l’offensive, l’entêtement et les erreurs du commandement. C’est ce que fait aussi le maréchal Juin, ancien combattant du Chemin des Dames, à plusieurs occasions.
- En 1962, c’est à Cerny que le chancelier Adenauer tient à se rendre à titre privé, pour se recueillir dans un cimetière allemand, accompagné du général de Gaulle.
- En 1967, le ministre des Armées, Pierre Messmer, est présent pour la cérémonie du cinquantenaire de la bataille, avec un grand succès populaire et chez les anciens combattants. Mais le discours officiel insiste sur le patriotisme et l’obéissance, sans évoquer les mutineries : « Ce sont les sacrifices, le sens du devoir et de l’obéissance, la générosité de ces soldats que nous évoquons avec émotion. » (P. Messmer) La cérémonie est œcuménique, met en valeur la réconciliation franco-allemande mais garde un aspect fortement militaire.
- En 1967 comme l’année suivante, il faut noter que les cérémonies de Cerny sont l’occasion de références à la guerre du Vietnam (appel à la paix en 1968 par un des présidents d’anciens combattants).
- Pour le 60e anniversaire, le dispositif prend encore de l’ampleur : il s’étale sur 3 jours, avec notamment un « son et lumières » à l’abbaye de Vauclair, exposition sur les villageois de la région pendant la guerre, conférence de Guy Pedroncini sur l’offensive Nivelle et projection des Croix de bois. Les cérémonies officielles se déroulent à Berry-au-Bac et Cerny, en présence de l’ambassadeur de RFA.
- Le dernier tournant important dans le souvenir du Chemin des Dames est 1998 : pour la première fois une autorité politique majeure, le Premier ministre Lionel Jospin, évoque les « fusillés pour l’exemple » et leur réhabilitation dans un discours à Craonne, déclenchant ainsi une vive polémique. « Le gouvernement rompt ainsi une tradition de propos patriotiques convenus et édulcorés. » L’Etat « se désolidarise alors d’une vision d’état-major de la bataille, pour se placer dans une perspective à la fois plus proche de la réalité historique et plus sensible au vécu des combattants. » Le choix de Craonne à la place de Cerny montre aussi une volonté de changement du gouvernement.
- « Après avoir été étouffé par le poids du souvenir de Verdun, qui reste le lieu majeur du souvenir de la Grande Guerre [comme le montre les cérémonies du 11 novembre 2008, dans lesquelles le président de la République reprend néanmoins le thème de la réhabilitation des fusillés, cette fois sans déclencher de polémique, NDLA], le Chemin des Dames semble pouvoir témoigner officiellement sur un registre qui lui est propre. »
Source principale : Antoine Calagué, « Commémorer un échec ? Le Chemin des Dames au miroir de Verdun », in N. Offenstadt (dir.), op. cit., pages 286 à 297
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