jeudi 16 septembre 2010

O comme Opération Ludendorff

- Le 26 mai 1918 dans la soirée, le 146e régiment d’infanterie arrive dans les champignonnières de Chassemy en rive sud de l’Aisne après quelques jours de repos à Villers-Cotterêts (bienvenus suite à de violents combats dans les Flandres au début du mois).
- Le régiment vient d’être mis en alerte, mais tous les hommes qui le composent ne mesurent pas la gravité de la situation, même si leurs projets de permission sont perturbés. Ainsi le sous-lieutenant Jean Eldin …

- « Le 27 mai 1918

Bien chers parents

Le déplacement dont je vous ai si souvent parlé ne s’est pas effectué comme il avait été prévu. Nous devions partir ce matin à 4 heures lorsque hier à 8 h du soir nous avons eu alerte et sommes partis à minuit en autos pour venir prendre un secteur. Depuis 9 h ce matin nous sommes en ligne. Les Boches sont assez actifs quoique ce ne soit pas comparable à Kemmel.
Si les permissions ne sont pas supprimées ou le pourcentage diminué, je viendrai comme je vous l’ai toujours dit dans les premiers jours de juin. Je vous tiendrai au courant de mon mieux mais ne vous en faites pas si au lieu de venir le 3 ou le 4 [juin] par exemple, par suite de baisse [de pourcentage], je ne venais que le 9 ou le 10. Tout dépendra de la situation.
Quoiqu’il en soit je suis 3e, alors il n’y a pas à s’en faire.
Ne vous remettez pas à m’écrire, ça n’en vaut pas le peine. Je tiens à vous avertir au cas où il y aurait des modifications mais s’il n’y a rien, je viendrai bien comme j’ai toujours pensé.
J’ai reçu une lettre de Chanut et d’un de mes hommes blessés, ainsi qu’une carte d’un sergent permissionnaire.
Il fait un temps splendide heureusement, aussi l’on est très bien. Un léger vent souffle et attiédit la température.
Rien de nouveau.

Bons baisers de votre poilu affectueux
J. Eldin »




- Pourtant, ce qui vient de commencer, c’est l’opération Ludendorff, une offensive allemande portant le nom du général en chef de l’armée allemande de 1916 à 1918, Erich Ludendorff. Elle est aussi appelée « Kaiserschlacht » (« Bataille de l’Empereur »), ou plus banalement « offensive de printemps ». L’attaque vers l’Aisne est la troisième après celles dans la Somme (21 mars) et sur la Lys (9 avril), et avant celles vers Noyon (8 juin) et en Champagne (15 juillet). Cette offensive générale est notamment permise par le déplacement des troupes venues du front russe ; elle est capitale puisqu’elle doit assurer la victoire allemande avant l’arrivée réelle des hommes et du matériel des Etats-Unis.


- L’offensive Ludendorff dans l’Aisne intervient par surprise. En effet, depuis la bataille de La Malmaison et le retrait allemand sur l’Ailette, le 2 novembre 1917, le Chemin des Dames était (re)devenu un secteur « calme », un front passif ; c’est pourquoi, par exemple, le 9e corps d’armée britannique, très éprouvé, vient en « repos » du côté de Craonne et de Berry-au-Bac.

- En fait, des captures de prisonniers ont permis aux Français de découvrir les plans de Ludendorff la veille, mais il est trop tard pour organiser correctement la défense des lignes alliées, d’autant plus que l’on ne sait pas exactement à quel type d’attaque on a affaire, les préparatifs ayant été particulièrement bien cachés.



- « A 1 heure précise il n’y eut pas ce ‟premier coupˮ attendu : de Vauxaillon à Reims, il y en eut plus de 4 000 qui retentirent ensemble, frappèrent nos positions du Chemin des Dames toutes à la fois, depuis l’Ailette jusqu’au-delà de l’Aisne, englobèrent dans le même fracas, la même nuée et la même dévastation, tout notre système défensif, de la première ligne d’infanterie aux emplacements des canons. Les étoiles disparurent aussitôt : aux fumées et à la poussière s’ajoutaient les lourdes vapeurs de gaz. Cette cataracte d’acier et de feu roule sur de l’ypérite. Le sol qu’elle bouleverse, elle l’infecte ; les armes qu’elle n’enfouit ou ne brise, elle les corrode ; les hommes qu’elle ne tue pas aussitôt, elle les empoisonne ou les brûle. C’est une trombe à feu infernale qui vomit l’épouvante et la mort. Qui n’est pas foudroyé est cloué sur place, seul avec son effroi, sous u n masque qui ne filtre pas l’arsine, crachant le sang. » (R.G. Nobécourt)
- Jusqu’à 3h40, une brève mais extrêmement intense préparation d’artillerie a lieu, qui « encage » les premières lignes : bombardements « légers » sur elles, pour ne pas trop bouleverser le terrain et permettre la progression, bombardements plus intenses sur l’arrière (notamment avec obus toxiques) pour empêcher la venue de renforts et limiter la réponse de l’artillerie française.

- L’assaut des fantassins allemands suit dans la foulée (après 5h entre Berry-au-Bac et Reims) et rencontre peu de résistance efficace ; le Chemin des Dames est franchi cette fois sans grande difficulté vers 6h tandis que l’on se bat déjà dans Craonne en ruines, la Caverne du Dragon prise après des combats limités, et l’Aisne atteinte puis franchie dans l’après-midi vers Cys-la-Commune, Bourg-et-Comin ou Pontavert (le soir, ils sont sur la Vesle). Dans le même temps, les Allemands poussent à l’ouest vers Pinon puis Laffaux.
- Il faut dire que face à eux, la défense française est mal organisée : le général Duchêne (VIe Armée) a insisté pour que l’on se batte jusqu’au bout pour conserver la première ligne et la crête du plateau, alors que la nouvelle stratégie de l’état-major est de renforcer la 2e ligne (sur l’Aisne en l’occurrence) au détriment de la première. Ses motivations sont doubles : il s’agit de conserver les positions avantageuses sur les hauteurs et ne pas atteindre le moral des soldats et des civils (notamment parisiens) en cédant un terrain si chèrement acquis un an plus tôt.
- Le 27, les Allemands appuient vers Soissons, que de nombreux nids de résistance ont empêché d’atteindre (cf. l’épisode de la mort du général des Vallières près de Juvigny) ; l’objectif est réalisé dans la soirée du 28, et ils peuvent remonter la vallée de la Crise le lendemain. L’armée française doit se replier face à des Allemands qui décident finalement d’exploiter leur succès initial et de marcher vers Paris malgré la faiblesse de leurs réserves.



- « Les retraites amènent toujours de bien pénibles et tristes surprises à certaines familles » : le caporal Antoine Baban cherche à ménager les proches de son ami Jean Eldin lorsqu’il écrit plusieurs lettres dans le courant de l’été pour annoncer que le jeune ardéchois de 24 ans n’a pas survécu aux combats sur l’Aisne, près de Vailly. « La compagnie se trouvait débordée de toutes parts par l’ennemi, elle était exposée aux feux de l’ennemi qui lui venaient dans tous les sens » ; « soyez persuadés que ses derniers instants n’ont été précédé d’aucune souffrance. »
- Malgré les efforts de la famille, la sépulture de Jean Eldin n’a jamais pu être retrouvée.






Source principale :
R.G. Nobécourt, op. cit., pages 353 à 394


Source pour Jean Eldin : Lettre du Chemin des Dames n°13, page 6
Sa fiche MPF

JMO du 146e RI

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