- Dans l’immédiat après-guerre, peu de commémorations solennelles ont lieu au Chemin des Dames : la priorité va à la reconstruction et au repeuplement des régions dévastées, et « une certaine discrétion préside au souvenir d’une bataille qui n’est pas niée ou oubliée, mais qui reste sans doute gênante. » En ce sens, Verdun se prête davantage au souvenir.
- Les premières cérémonies sont individuelles ou organisées par les anciens combattants d’un régiment ou d’un bataillon. « Contrairement à Verdun, les modalités de la commémoration du Chemin des Dames renvoient dès l’origine à une dispersion, un éclatement. »
- La première cérémonie d’importance est l’inauguration du monument des chars, à Berry-au-Bac, en juillet 1922 : sont présents les généraux Foch, Weygand et Mangin. Mais c’est une mémoire particulière, qui n’évoque que l’épisode précis du premier engagement des blindés.
- « La mémoire de la bataille du Chemin des Dames commence à se fixer dans les années 1927 et 1928 », notamment avec le voyage d’Edouard Herriot (ministre de l’Instruction), le 24 juillet 1927, qui inaugure plusieurs monuments aux morts et préside une cérémonie au cimetière de Cerny-en-Laonnois, qui devient le lieu central du souvenir au Chemin des Dames.
- Le 30 octobre de la même année est inauguré le monument d’Hurtebise, qui permet d’intégrer la bataille de 1917 « dans un ensemble plus large et plus souple. » Le monument présente « une vision patriotique, dans une acception du terme renvoyant à la Belle Epoque – ce qui est finalement assez surprenant, surtout à considérer le rôle joué par les anciens combattants dans cette commémoration » (l’UNC a financé le monument, donné aux autorités). La cérémonie, très classique, « correspond à une vision de droite, respectueuse des institutions et des hiérarchies. » Elle privilégie la vision de l’état-major et insiste sur l’aspect glorieux de l’histoire, le monument reconstruit témoignant du courage et du patriotisme des habitants de la région et des Français, résolus à se battre contre l’envahisseur quelle que soit l’époque : « De tels souvenirs font de cette frontière une terre sacrée, et il est juste qu’un monument nouveau, remplaçant un monument détruit, jalonne, une fois de plus, une si belle histoire. » (Gabriel Hanotaux dans La Croix, 13 novembre 1927)
- Face à cette vision patriotique se manifeste une vision pacifiste, « qui dénonce et critique » (à l’instar d’Eugène Dabit à propos du monument d’Hurtebise), très présente chez les anciens combattants.
- On la perçoit lors de l’inauguration en 1928 du « Monument des Basques », en souvenir de la 36e DI qui comprenait beaucoup de soldats originaires du Sud-ouest. Si la mise en œuvre et la cérémonie classiques, l’absence d’autorité politique est significative (seuls les militaires sont présents). En effet, la statue elle-même est d’un style différent, « avec un visage grave et calme, contrastant avec l’attitude militaire et patriotique du monument d’Hurtebise. Il est, par son originalité, une critique implicite des monuments guerriers : en ce sens il est pacifiste. » S’ajoute à cela le fait que le 18e RI basé à Pau a été très touché par la répression consécutive aux mutineries.
- Le monument des Crapouillots à Laffaux « reste plus discret et confidentiel », tandis que le calvaire de l’Ange gardien, inauguré en 1924 de façon très officielle, « n’est pas ensuite commémoré de façon régulière. »
- Après 1945, Cerny devient le lieu central des commémorations, notamment à travers la construction de la chapelle-mémorial édifiée par l’UNC et inaugurée en 1951. « Le quarantième anniversaire de la guerre marque sa consécration » : visite du ministre des Anciens Combattants, cérémonies placées sous le patronage du président de la République, mise à contribution de tous les villages de la zone (illumination du front, éclairage des monuments). Pour la première fois les troupes coloniales sont mises en valeur (1954 correspond au centenaire de leur création). On rend aussi hommage aux combattants anglais et aux Français morts en Italie en 1917. « Il ne s’agit plus de célébrer une division ou un combat particulier, mais de rendre hommage aux combattants en général. » Les discours reconnaissent « l’insuccès » de l’offensive, l’entêtement et les erreurs du commandement. C’est ce que fait aussi le maréchal Juin, ancien combattant du Chemin des Dames, à plusieurs occasions.
- En 1962, c’est à Cerny que le chancelier Adenauer tient à se rendre à titre privé, pour se recueillir dans un cimetière allemand, accompagné du général de Gaulle.
- En 1967, le ministre des Armées, Pierre Messmer, est présent pour la cérémonie du cinquantenaire de la bataille, avec un grand succès populaire et chez les anciens combattants. Mais le discours officiel insiste sur le patriotisme et l’obéissance, sans évoquer les mutineries : « Ce sont les sacrifices, le sens du devoir et de l’obéissance, la générosité de ces soldats que nous évoquons avec émotion. » (P. Messmer) La cérémonie est œcuménique, met en valeur la réconciliation franco-allemande mais garde un aspect fortement militaire.
- En 1967 comme l’année suivante, il faut noter que les cérémonies de Cerny sont l’occasion de références à la guerre du Vietnam (appel à la paix en 1968 par un des présidents d’anciens combattants).
- Pour le 60e anniversaire, le dispositif prend encore de l’ampleur : il s’étale sur 3 jours, avec notamment un « son et lumières » à l’abbaye de Vauclair, exposition sur les villageois de la région pendant la guerre, conférence de Guy Pedroncini sur l’offensive Nivelle et projection des Croix de bois. Les cérémonies officielles se déroulent à Berry-au-Bac et Cerny, en présence de l’ambassadeur de RFA.
- Le dernier tournant important dans le souvenir du Chemin des Dames est 1998 : pour la première fois une autorité politique majeure, le Premier ministre Lionel Jospin, évoque les « fusillés pour l’exemple » et leur réhabilitation dans un discours à Craonne, déclenchant ainsi une vive polémique. « Le gouvernement rompt ainsi une tradition de propos patriotiques convenus et édulcorés. » L’Etat « se désolidarise alors d’une vision d’état-major de la bataille, pour se placer dans une perspective à la fois plus proche de la réalité historique et plus sensible au vécu des combattants. » Le choix de Craonne à la place de Cerny montre aussi une volonté de changement du gouvernement.
- « Après avoir été étouffé par le poids du souvenir de Verdun, qui reste le lieu majeur du souvenir de la Grande Guerre [comme le montre les cérémonies du 11 novembre 2008, dans lesquelles le président de la République reprend néanmoins le thème de la réhabilitation des fusillés, cette fois sans déclencher de polémique, NDLA], le Chemin des Dames semble pouvoir témoigner officiellement sur un registre qui lui est propre. »
Source principale : Antoine Calagué, « Commémorer un échec ? Le Chemin des Dames au miroir de Verdun », in N. Offenstadt (dir.), op. cit., pages 286 à 297
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