La bataille que nous désignons aujourd’hui sous le nom de « Chemin des Dames » a connu plusieurs noms dans l’histoire. Ses limites chronologiques et géographiques sont difficiles à situer précisément : par exemple, René-Gustave Nobécourt s’intéresse exclusivement aux combats sur le plateau entre avril et octobre 1917, tandis que Pierre Miquel évoque tout le front entre Saint-Quentin et les Monts de Champagne, mais seulement entre le 16 avril et début mai 1917.
Déjà, pendant l’offensive Nivelle, le vocabulaire a du mal à cerner précisément l’objet « Chemin des Dames ». Le 1er mai, Charles Benoist parle de la « bataille de France » (Revue des Deux Mondes) pour désigner cette bataille qu’il annonce victorieuse ; le 15, celle-ci est devenue simple « bataille de l’Aisne […] en toutes circonstances rude et difficile » ; enfin, le 1er juin, il dissocie les combats du Chemin des Dames et ceux du massif de Moronvilliers.
Il faut dire que l’échec de l’offensive et l’absence de combats sérieux dans le secteur de Saint-Quentin séparent physiquement l’offensive réussie des Anglo-Canadiens du côté de Vimy et les affrontements proches de l’Aisne. La tant espérée « bataille de France » sur un front de près de 200 km, de la Scarpe à la Suippe, a fait long feu …
De plus, l’éloignement des Monts de Champagne, le fait que le secteur de Reims soit passif et que la plaine proche redevienne calme dès le mois de mai contribuent à dissocier des situations pourtant similaires, celle du plateau du Chemin des Dames et celle des Monts de Champagne. On aboutit donc dans les écrits à une « bataille de l’Aisne étroite » (un peu plus de 50 km contre 90 km pour la « bataille de l’Aisne large »).
Cela permet aussi de présenter l’offensive comme en étant en réalité deux et de faire passer un succès ponctuel pour une victoire définitive : la prise du mont Cornillet par les zouaves le 21 mai (alors que les contre-attaques et les combats se poursuivent tout l’été.
Enfin, on épargne ainsi Pétain (qui a préparé l’offensive des Monts de Champagne) par rapport à Nivelle en présentant une offensive mieux préparée et moins coûteuse en hommes.
La question des hommes est en effet dominante : « Peut-il s’agir d’une même bataille, dès lors que le chef a changé ? » L’opposition Nivelle / Pétain se traduit notamment dans les bilans chiffrés, qui s’arrêtent fin avril, dans les premiers livres de récit des combats, divisés selon le général qui les mène.
Par la suite, le nom de « bataille du Chemin des Dames » s’impose. Dans un premier temps, on cherche (en vain) à différencier un « 16 avril honteux » et un « Chemin des Dames glorieux » ; mais l’expression finit par désigner plus globalement la bataille et les crises qui l’accompagnent, notamment les mutineries. « Dans le passage de la souffrance glorieuse à la souffrance scandaleuse, la bataille toute entière devient celle du Chemin des Dames, sans que pour autant la vision du combattant s’impose sans réserve. » On continue de dissocier l’offensive Nivelle de la bataille des observatoires de l’été et de celle de La Malmaison à l’automne. « Porteur de toutes les ambiguïtés, le Chemin des Dames devient le fragile dénominateur commun et le carrefour instables de toutes les images de la bataille. »
Source : Philippe Olivera, « La Bataille introuvable », dans N. Offenstadt (dir.) Le Chemin des Dames (pages 36 à 46)
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